La mort dans le jeu de rôle
- Alexandre

- 9 sept.
- 7 min de lecture
La mort dans le jeu de rôle
Cet été, je me suis refait la série Lost : Les disparus. Série qui a marqué les années 2000 avec ses intrigues, son ambiance, ses rebondissements et bien sûr ses personnages. Ce qui a peut-être le plus marqué les fidèles de la série, ce sont justement ceux-ci. Ils sont bien conçus avec des histoires intéressantes et de véritables évolutions qui les amèneront à changer d'attitude suite aux expériences subies sur l'île, leurs histoires d'amour également. Bien sûr qu'on s'attache à eux. On en vient même à comprendre et à pardonner certains. De ce fait, lorsque la mort d'un de ces personnages arrive, elle nous surprend et elle nous choque. Si vous dites "Not Penny's Boat" à un fidèle de la série, il marquera un instant de silence en se remémorant cette scène.
Avant la série Game of Thrones qui plaça la mort de ses héros comme vecteur de stress et presque un art en lui-même, on avait Lost. J'en suis donc venu à m'interroger sur la mort des héros dans les univers que l'on affectionne et, de ce fait, dans le Jeu de Rôle.

La fin d'un arc narratif
Si c'est le visionnage de Lost qui m'a donné envie d'écrire cet article, ce n'est pas le seul exemple de "mort du héros" que la culture populaire nous offre. Parfois cela aide à clôturer une histoire, oblige à accepter qu'il n'y aura pas de suite ou bien que celle-ci partira sur d'autres personnages (je pense au MCU avec Avengers : Endgame par exemple).
Dans le jeu de rôle, c'est certainement la mort la plus acceptée et la plus acceptable. C'est presque la véritable "mort du héros", comme dans les films. Donnant son dernier souffle lors du combat contre le grand méchant de l'histoire. Chez Quid Facis, on ne cachera pas l'avoir souvent fait. Cette mort que les poètes et philosophes antiques considéraient comme "une belle mort". Elle sert l'histoire mais, plus encore, elle est l'ultime sacrifice pour sauver le monde, on se souviendra de votre personnage comme celui ou celle ayant donné sa vie pour une plus grande cause.
Même du point de vue joueur/euse, c'est une mort marquante et qui n'apporte aucun regret. On a tout donné, on a joué jusqu'au bout. C'est la mort qu'on a vue dans Gladiator par exemple où en tuant cet Empereur assassin, notre héros va enfin trouver la paix qu'il cherchait depuis le début du film. La mort de notre personnage à ce moment ultime de l'histoire devient presque la conclusion parfaite. Les joueuses et joueurs de L'Appel de Cthulhu savent que ça ne se passe pas toujours comme ça...

La mort comme faisant partie du jeu
Oui car L'Appel de Cthulhu (dit "AdC" par la suite) n'est pas un jeu héroïque. Dans cet univers, on subit les événements plus qu'on ne les combat et nos personnages n'ont pas un stock de points de vie qui leur permet de jouer "les héros". Les scénarios de l'AdC nous placent dans la peau de personnages lambdas ou en tout cas crédibles, réalistes. Même si on choisit de jouer un militaire ou un policier, on va savoir utiliser les armes à feu mais ça ne voudra certainement pas dire qu'on a plus de chances de survivre à une fusillade qu'un personnage avec une autre occupation. Certains monstres, quel que soit notre carrure, pourront en plus nous tuer en un coup. Mais ça fait partie du jeu.
On a l'habitude de dire qu'il est toujours surprenant que les joueurs de l'AdC puissent croire que leur personnage s'en sortira indemne. Une joueuse ou un joueur habitué.e aura déjà dans sa poche un personnage de secours pour supplanter la mort de celui qu'il ou elle joue à cet instant. C'est le jeu. On sait que notre personnage n'aura pas de mort héroïque puisque ce n'est pas un jeu héroïque. C'est un jeu d'horreur monstrueuse donc la mort du personnage, on y est prêt à chaque lancer de dés (bien qu'on espère toujours le garder le plus longtemps possible). Au contraire de jeux comme Dungeons & Dragons.
La mort sans menace ni enjeux
Quand on parle de jeu héroïque, Dungeons & Dragons (D&D) vient de suite en tête. Ici la mort n'est pas souhaitée (enfin elle ne l'est plus autant qu'avant). Il existe de nombreuses mécaniques pour empêcher et survivre à la mort de son personnage. Que ce soit des jets de sauvegarde qui nous donnent une chance de nous en sortir avant qu'elle n'arrive, les sorts, potions et parchemins de soin ou de résurrection.
C'est-à-dire que même si par malchance on vient à échouer à nos jets de sauvegarde contre la mort, même si nos alliés n'ont pas eu le temps de nous soigner, même si on subit un nombre de dégâts qui nous tuent sur le coup... On peut survivre à la mort. La mort d'un personnage du groupe ne devient alors qu'un handicap temporaire, on va chercher à la ramener, peut-être même demander au MJ une quête afin de ressusciter ce personnage et la mort ne devient alors qu'un moment de jeu qui n'aura eu qu'un impact moyen et, en vérité, c'est dommage.

Une expérience en soi
Là je vais vous parler un peu de moi. Il y a quelques années, le personnage que je jouais dans un Jeu de Rôle Grandeur Nature (GN) est mort. Nous étions sur la fin du week-end de GN, on a eu le droit à une traditionnelle grande bataille pour (encore) sauver le monde. Durant le week-end des personnages étaient morts puis ramenés à la vie, parfois plus d'une fois (oui comme D&D, ce GN permet de survivre à la mort). Sauf que là, ô surprise, toutes celles et ceux qui avaient vu leur personnage mourir durant le week-end rejoignaient les rangs du Mal dans l'affrontement final. Nous avions donc là nos sœurs et frères d'armes qui se retrouvaient face à nous dans les rangs ennemis contre leur volonté puisque la grosse entité néfaste du GN contrôlait leurs pensées et actes.
La bataille fut donc avec un véritable enjeu, nous étions quasi sur du 1 contre 2 vu que les morts se relevaient assez facilement de mémoire. En rang, nous combattions et à un moment je me suis retrouvé isolé de mon groupe. Je me souviens avoir utilisé toutes mes capacités pour rejoindre mon groupe tout en comptant le nombre de points de touche que je pouvais encore prendre quand celui-ci tomba à 0. Mon personnage était à l'agonie. Et là, j'entendais un joueur adverse me donner les coups fatals, "Achevé 1"... je voyais mes compagnons à quelques mètres devant moi... "Achevé 2"... j'essayais de les rejoindre en rampant... "Achevé 3" au moment où je croisais le regard d'un membre de mon groupe... Mais c'en était fini. Je n'avais plus qu'à rester là, par terre, mon personnage était mort.
L'histoire aurait pu s'arrêter là mais notre chef de groupe avait encore des composants nécessaires pour ressusciter et j'ai bénéficié de sa dernière pierre de résurrection. Mon personnage revenait à la vie avec une dette inestimable envers son chef. Le fait est que, avec le recul, j'en viens presque à regretter que mon personnage ne soit pas mort définitivement ce jour-là.
Les bienfaits de la frustration d'une mort prématurée
Parce que le jeu de rôle, et ça on sera nombreuses et nombreux à vous le dire, c'est une expérience de vie. Et qu'est-ce qui est plus proche de la vie que la mort ? J'en reviens à ces morts dans Lost. Ces scènes m'ont marquées émotionnellement, cet été j'en ai même pleuré sur celles de ces personnages que j'ai appréciés et avec lesquels je me suis lié au fur et à mesure des épisodes, comme on apprécie et on se lie à nos personnages et à notre groupe de JdR. De plus, ces morts vont avec le fait que les personnages avaient encore des choses à faire et à vivre, elles ont un côté injuste. Elles ne sont "pas justes".
C'est ça qui les rend marquantes. Si mon personnage de GN était resté mort ce jour-là, il n'aurait pas pu participer au mariage de sa sœur, il n'aurait pas pu traverser ce portail magique et aller combattre d'autres dangers et vivre d'autres aventures. J'aurais perdu l'occasion de jouer des intrigues liées à ce personnage et tous les projets que j'avais pour lui, j'aurais dû y renoncer. Mais pour les autres joueuses et joueurs de mon groupe, la mort de mon personnage aurait pu être l'occasion d'expérimenter d'autres aspects de leur propre personnage : le deuil.
Car le jeu de rôle est une expérience de vie et que la mort fait entièrement partie de celle-ci. Si nous ne pouvons vivre sans mourir un jour, il devrait être naturel que nos personnages puissent mourir également et que nous puissions, dans notre RolePlay (dit "RP", c'est le fait de jouer littéralement le rôle de son personnage), jouer le deuil de la perte d'un membre du groupe avec les leçons que celle-ci amène. Peut-être que si mon personnage de GN était resté mort, le reste du groupe aurait développé des tactiques spécifiques pour s'assurer que personne ne se retrouve isolé dans les mêlées. Peut-être qu'ils auraient joué une cérémonie pour mon personnage et ça aurait été l'occasion de faire du RP différent.

Ce n'est qu'un jeu après tout
Comme avait pu le dire une de mes joueuses il y a quelques années : "si mon perso meurt, ce n'est pas grave, j'en fais un autre". Car il s'agit d'un jeu tout simplement. Alors oui, c'est dommage pour cette intrigue perso, oui c'est dommage pour telle ou telle quête qui était centrée sur votre personnage, mais ce n'est pas grave, ce n'est qu'un jeu. Il ne tient qu'à vous de créer un nouveau personnage, de nouvelles histoires, de nouvelles intrigues et de faire plus attention pour ne pas voir ce nouveau perso mourir également.
La mort de nos personnages fait partie du jeu, doit faire partie du jeu. Au-delà de celui-ci, peut-être même qu'elles nous font grandir.
Dungeons & Dragons et Philosophies
Je n'ai pas fait que regarder Lost cet été, j'ai également commencé la lecture du livre Dungeons & Dragons et Philosophies qui amène un autre regard sur notre loisir à travers D&D. Je ne peux que vous recommander ce livre.




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